Effet Mnemos: Frere Jack, Londres, automne 1888

Voila deja plusieurs que je fouille Londres sans succes a la recherche d'Ikara. Des quais de la Tamise aux bas fonds de Whitechapel, sans oublier les abords de Trafalgar Square.

"Londres

C'est un espace immense et d'une longueur telle
Qu'il faut pour le franchir un jour à l'hirondelle,
Et ce n'est, bien au loin, que des entassements
De maisons, de palais, et de hauts monuments,
Plantés là par le temps sans trop de symétrie ;
De noirs et longs tuyaux, clochers de l'industrie,
Ouvrant toujours la gueule, et de leurs ventres chauds
Exhalant dans les airs la fumée à longs flots ;
De vastes dômes blancs et des flèches gothiques
Flottant dans la vapeur sur des monceaux de briques ;
Un fleuve inabordable, un fleuve tout houleux
Roulant sa vase noire en détours sinueux,
Et rappelant l'effroi des ondes infernales ;
De gigantesques ponts aux piles colossales,
Comme l'homme de Rhode, à travers leurs arceaux,
Pouvant laisser passer des milliers de vaisseaux ;
Une marée infecte et toujours avec. l'onde
Apportant, remportant les riches ses du monde ;
Des chantiers en travail, des magasins ouverts,
Capables de tenir dans leurs flancs l'univers ;
Puis un ciel tourmenté, nuage sur nuage ;
Le soleil, comme un mort, le drap sur le visage,
Ou, parfois, dans les flots d'un air empoisonné
Montrant comme un mineur son front tout charbonné ;
Enfin, dans un amas de choses, sombre, immense,
Un peuple noir, vivant et mourant en silence,
Des êtres par milliers suivant l'instinct fatal,
Et courant après l'or par le bien et le mal. "

Auguste Barbier

Le Brougham m’attend déjà !
Clawrence me tient la porte. Les deux chevaux renâclent. Il ne semble guère apprécier le traitement que leur a fait subir le cocher.
Je monte dans la voiture et tape avec ma canne à pommeau sur le toit : le signal d’une course bien payée.
Clawrence a juste le temps de ranger le marchepied qu’il s’envole aux côtés du cocher. Les chevaux hennissent sous les coups de fouet répétés.
23h17. Je remonte négligemment ma montre-gousset.
Il est bien tard pour me faire demander.
Les rues de Londres défilent. Le cocher est motivé par sa course. Il en oublie les règles de la conduite anglaise. J’entends les réclamations des passants se transformer en jurons des bas-fonds à mesure que nous arrivons au Royal London Hospital. Il entre dans la cour sur une roue à peine et manque de renverser deux infirmières qui lâchent leurs linges venant de l’aile droite.
Clawrence s’occupe de payer la course et attend mon accord pour la prime. Il n’ose me regarder. Je sais qu’il est effrayé par l’endroit et par mon apparence …
L’endroit est si lugubre. Les hurlements et des coups métalliques raisonnent dans la cour renvoyant en écho l’étrangeté du lieu comme la caverne des horreurs …
Les malades ne sont jamais si énervés d’habitude … comme s’ils le sentaient … comme si la peur s’était mêlé au smog qui recouvre cette ville …
Je fais un léger signe de tête à Clawrence qui s’empresse de payer le cocher. Celui-ci découvre des dents pourris sous un rictus forcé qu’il veut des plus naturels. Je n’y fais pas attention et m’engouffre dans l’hôpital.
J’entends le cocher maugréé sur le paiement de sa course en essayant de soutirer quelques pièces supplémentaires à Clawrence. D’un léger mouvement d’épaule, je me retourne et salue le cocher avec mon haut-de-forme. Il reprend ses rênes et éjecte Clawrence du Brougham. Ma renommée, ou plutôt mon apparence et ma réputation de docteur fou ne sont plus à faire et produisent toujours les mêmes effets. J’en retire quand même certains avantages !
A l’entrée, Marie m’attend.
Que me vaut l’honneur d’être invité ce soir, à revenir à cette heure, miss ?
Docteur … ce sont les malades … ils sont comme fous !
Vous savez bien Marie que je vous ai dit cent fois de ne plus employer ce mot !
Oui, docteur !
Nous traversons au pas de course le couloir qui mène à la salle des entrées. Je me défaits de mon haut-de-forme, de ma canne et de ma redingote. Marie devient pour un instant seulement mon porte-manteau vivant. J'en profite pour consulter le cahier de service.
Vous ne m’avez pas dit que nous avons eu une entrée particulière ce soir ?
Son silence initial et actuel explique davantage la situation qu’elle n’aurait pu le faire avec cent mots.
Il a recommencé, docteur !